DE LA LIGNE A LA RUE
Le wagon de la rame sur cette ligne est bouclé par trois types. On peut descendre mais personne ne bouge. Impossible de regarder ailleurs, de refuser voir ce qui s’y passe. Les hommes sont en retrait. Les femmes, debout sans détourner le regard fixent l’homme, jeune, solide et singulièrement surexcité. Il les apostrophe à voix haute pour être entendu de tous : - viens sur mes genoux salope , dit il à une femme. -Et toi qu’as-tu à me regarder, tu suces ? Un visage délivre une réprobation muette sans équivoque. La tension est dure, froide, sale, déraisonnable. Les deux acolytes les moins en verve terrorisent par leur simple présence, en renfort. En tant qu’homme, bouger ou intervenir à ce moment délicat signifie se battre et mettre le feu aux poudres. Le « chef » jouit de ses propres paroles, du silence qu’il impose. Centre du monde, nombril de métro. Cela dure plusieurs stations. Longtemps. Aucune femme ne baisse les yeux. Je ne descends pas à ma station. Je reste faire block, on ne sait jamais, et je m’approche du tiers énergumène qui perd petit à petit sa contenance et se demande comment tout cela va finir. Près de la porte, prêt à sortir, bravache et pleutre, il marmonne encore quelques insultes finissantes et inaudibles. Ils ont pris une drogue qui leur permet d’aller loin. Ils sont allés loin. Ils descendent enfin à Strasbourg-Saint-Denis, pour traîner et finir rue Saint Denis. Déverser leur mépris sur les femmes prostituées du quartier. Je les suis, je les perds. Ils s’éteignent, noir obscur dans les lumières de la ville.