LA TREMPETTE
La vaisselle, loin d’être quotidienne, la vaisselle, je la pratique avec économie. Je débarrasse toujours les reliefs tenaces accrochés aux assiettes, j’essuie toujours la moutarde qui, en séchant, ne partira plus jamais des dents de la fourchette, je rince toujours la flutte de champagne qui a contenu du lait.
Je débarrasse, j’essuie, je rince, AVANT de faire la vaisselle. Toutes ça pour ne pas m’emmerder, APRES, en faisant la vaisselle. Un prélavage, en quelque sorte. Ce n’est pas que ça me fasse caguer, la vaisselle, mais j’en suis venu à devenir un maniaque du prélavage.
Alors, aujourd’hui, lendemain du onze novembre, 1918 pour les intimes, en souvenir de mon grand-père maternel gazé à Verdun, j’ai décidé de ne plus faire le prélavage. Quel temps gagné sur la saleté au détriment de la propreté et de l’hygiène !
Donc je ne débarrasse plus les reliefs collés, j’entasse en dépit du bon sens dans le bassin prévu pour faire la vaisselle, je casse les fluttes de champagne avec le faitout en fonte, une de moins à laver, je laisse se développer les moisissures, les phytho-planctons et autres arabesques odoriférantes & colorées, je laisse s’échapper en panaches les fumets qui en valent bien d’autres. Bref je me laisse titiller les sens et, tel un Rimbault de la vaisselle, j'appareille dans ma bassine pour partir et dériver, en quête de temps, de beau temps de préférence.
Tout au plus accepterais-je le trempage parce qu'astiquer les manches de couteaux et de fourchettes, demeure un plaisir solitaire qui ne dure qu’un moment.
Demain flotteront joliment à la surface de l'eau de vaisselle, les allumettes et les belles peaux orangées des clémentines !
VIVE LA REPUBLIQUE, VIVE LA FRANCE !
ET VIVE MORANDI.